Figuratif, non-figuratif… cet automne il y en a pour tous les goûts ! Et pour célébrer la couleur, je tiens à vous parler d’une exposition coup de cœur : Zao Wou-Ki (1920-2013) au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris.
Peintures monumentales, ambiance contemplative… Certaines toiles donnent une impression de violence, avec leurs couleurs de terre ravagée et leurs mouvements brusques de révolte, tandis que d’autres, plus éthérées, nous enveloppent d’un halo prismatique. On ressort, malgré ce contraste, plutôt apaisé de cette exposition évoquant l’immensité de paysages naturels comme l’insondable profondeur des émotions humaines.
Ici, un orage semble fondre sur la jungle traversée de rais de lumière donnant à la canopée des tons acidulés.
Les tonalités de cette œuvre, le traitement vaporeux du fond contrastant avec des traits plus appuyés et comme tremblés rappellent l’art d’un Turner ou d’un Ensor.
Zao Wou-Ki fait ici encore montre de son art du contraste : l’orangé et le noir se mettent mutuellement en valeur. L’artiste évoque souvent la suie, le carbonisé. Son usage du fusain, dans des œuvres comme Le Temple des Han, en est d’ailleurs révélateur.
Les aquarelles jouent de la dilution et des superpositions pour magnifier le noir et ses milles variantes. Les formes, bien qu’abstraites, évoquent des morphologies organiques. On pourrait d’ailleurs penser aux Anthropométries d’Yves Klein.
Des nuées s’abattent sur une île paisible : cendres, insectes, anges noirs ? Le motif biblique de la chute des anges rebelles serait alors ici détourné. Le noir est en effet brodé de couleurs. C’est cette noirceur, par le contraste qu’elle apporte, qui révèle le monde.
Parmi d’autres peintures aux couleurs boueuses, cette dernière semble la manifestation d’un combat : des griffures et autres gestes sauvages semblent vouloir déchiqueter la toile. La forme générale rappelle quant à elle un motif calligraphique, qui deviendrait ici signe brut, voire brutal.
Ici, les troncs d’arbre de Monet se transforment en tornades venant écheveler le paisible étang aux nymphéas. Le format monumental et l’immersion dans la couleur, la recherche de l’harmonie à travers de multiples panneaux sont communs aux deux artistes.
La seconde exposition que je vous présente aujourd’hui est consacrée à Ito Jakuchu (1716-1800) et organisée par le Petit Palais.
Les 30 peintures sur soie d’Ito Jakuchu représentent un ensemble précieux voyageant rarement hors du Japon. L’exposition, de taille modeste, est donc fortement peuplée le week-end !
Toutefois, cet ensemble pictural monumental, le « Royaume coloré des êtres vivants », porte bien son nom. Outre la diversité animale, les matières et les tons proposent aussi des ambiances particulières.

Ito Jakuchu, Vieux pin et phénix blanc, 1765, Tokyo, Musée des collections impériales, Agence de la Maison impériale
Plumages foisonnants de coqs (que l’artiste élevait pour les observer à loisir), flocons de neige embrumant l’atmosphère, épines acérées, pins dont l’écorce ressemble à de la peau de serpent, dentelles de pivoines et feuilles de nénuphars ciselées…

Ito Jakuchu, Fleurs de prunier et lune, 1761-1765, Tokyo, Musée des collections impériales, Agence de la Maison impériale
La touche précise, caractéristique de la miniature japonaise et de la tradition calligraphique, vient ici sublimer les éléments organiques.

Ito Jakuchu, Pivoines et petits oiseaux, 1761-1765, Tokyo, Musée des collections impériales, Agence de la Maison impériale
La perspective multi-focale, très différente de notre perspective occidentale traditionnelle, propose des glissements de points de vue. Contempler une toile de Jakuchu revient ainsi à regarder des temporalités différentes.

Ito Jakuchu, Coquillages, 1761-1765, Tokyo, Musée des collections impériales, Agence de la Maison impériale
Par exemple, dans Coquillages, notre point de vue change à mesure que notre regard se meut dans la toile : en bas, une vue en plongée, au milieu, une vue frontale rapprochée, en haut, une perspective vers le lointain.

Ito Jakuchu, Etang aux insectes,1761-1765, Tokyo, Musée des collections impériales, Agence de la Maison impériale
De même, dans l’Etang aux insectes, aucun rapport de proportion ne relie les animaux entre eux. Ils sont dépeints chacun dans un espace et un temps différents. Le seul espace qu’ils partagent est fictif : il s’agit de l’espace pictural en soi.

Ito Jakuchu, Faisans dorés dans la neige, 1761-1765, Tokyo, Musée des collections impériales, Agence de la Maison impériale
Pour aller plus loin :
L’exposition Jakuchu se termine déjà, mais vous pouvez encore visiter celle sur Zao Wou-Ki jusqu’au 6 janvier 2019 🙂
J’aime beaucoup Jakuchu.
Le premier me laisse dubitative….
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Concernant Wou-Ki, il faut bien voir que ce sont des peintures monumentales (plusieurs mètres minimum), donc l’effet sur un article de blog n’est clairement pas aussi saisissant qu’en réel.
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Merci pour ce partage et l’analyse des oeuvres ou du moins, l’accent sur ce qui fait leur richesse.
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Avec plaisir !
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