Dans la baignoire

Trois œuvres où la baignoire occupe une place centrale. Trois techniques différentes : une sculpture, une peinture, une photographie. Trois visions différentes de la sensualité et de l’intimité.

Edgar Degas - Le tub - 1886/89

Edgar Degas – Le tub – 1886/89

Chez Degas, nous avons une sensualité très lascive. La sculpture, très libre, se veut un exutoire aux mœurs étriquées du temps et aux freins sociaux en matière de sexualité. Le spectateur peut ici se délecter en tant que voyeur. La sexualité explose, elle n’est plus retenue comme dans les peintures de danseuses – réputées à l’époque pour leur morale douteuse et leur vénalité, pensons à ce sujets aux critiques émises à l’époque sur sa sculpture de la Petite Danseuse – ou dans certains nus à la toilette beaucoup plus sages.

Pierre Bonnard - La grande baignoire - 1937/39

Pierre Bonnard – La grande baignoire – 1937/39

La sensualité que déploie Bonnard dans sa Grande Baignoire est plus douce, plus intimiste. Mais le rapport voyeur persiste, notamment grâce au cadrage. En effet la vue en plongée amène notre regard droit sur les charmes de la femme du peintre, tranquillement allongée dans sa baignoire. Bonnard, comme dans ses nombreuses représentations de Marthe au bain, met ici tout l’amour, la tendresse et le désir qu’il éprouve pour sa femme. L’usage de couleurs chatoyantes montre à quel point la femme est « solaire » pour Bonnard. La couleur irradie et « baigne », justement, ce corps idolâtré.

La dernière œuvre présente une sensualité très trouble. Cette photographie de Lee Miller a été prise par David Scherman alors qu’ils couvrent tous deux la seconde guerre mondiale pour le magazine américain Vogue. Lee Miller est photographiée dans la baignoire de la maison munichoise d’Adolf Hitler.

David Scherman - Lee Miller dans la baignoire d'Hitler - 1945

David Scherman – Lee Miller dans la baignoire d’Hitler – 1945

Cette photographie est complexe de significations. Sur le mode de l’ironie, elle nous montre l’image d’une femme blonde aux yeux bleus (stéréotype arien) dans la baignoire même d’Hitler. Le malaise se renforce dès lors que l’on voit dans cette œuvre une évocation des « douches » des camps de concentration.
Le rapport au thème de la purification intervient à double sens dans cette photo : l’œuvre de purification de la « race », idéal monstrueux d’Hitler, et, à l’inverse, la nécessité de se purifier des souillures de la guerre et de la Shoah. Mais peut-on vraiment se « laver » de toutes les horreurs du nazisme dans la baignoire du Führer ? La photo vient-elle narguer Hitler, ou bien ne joue t-elle pas par trop l’ambiguïté en évoquant une proximité avec son univers intime ?
L’œuvre de Miller et de Scherman a le mérite de susciter les questionnements.

La tentative sublimation du traumatisme à travers un humour plus que grinçant réussit-elle ? A chacun de forger son opinion…

Pour une analyse détaillée du travail de Lee Miller, n’hésitez pas à lire :

  • L’oeil de la guerre – Lee Miller et ses photos de presse, Carolyn Burke, traduction de Jean Migrenne, La Revue des Deux Mondes, octobre-novembre 2008
  • Lee Miller, la photographe des camps de l’horreur sur le blog Raconte moi l’Histoire.

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