Zola / Steinbeck

Germinal écrit par Emile Zola en 1885 trouve un écho certain dans les Raisins de la Colère, roman de John Steinbeck écrit en 1939. Deux grands romans de la condition sociale, deux grandes critiques de l’éternelle exploitation des faibles par les forts.

Germinal raconte l’histoire d’un village de mineurs, le coron du Voreux, où, dans un  cercle vicieux, la misère des habitants les rend dépendants de leurs exploiteurs, qui à leur tour les rendent plus misérables.

Vincent Van Gogh - Mineurs - 1880

Vincent Van Gogh – Mineurs – 1880

Les Raisins de la colère narre l’exode d’une famille de cultivateurs, chassés de leurs terres par l’Etat américain qui recueille les parcelles pour les faire exploiter par des machines. Voyage éprouvant qui les mettra sans cesse en butte à l’avidité humaine.

Chaque livre se concentre sur un groupe d’individus : la famille Joad chez Steinbeck, la famille Maheu et leur invité Etienne chez Zola. Ces derniers sont poussés à bout, méprisés, ignorés, exploités par les forces ‘supérieures’. Manipulées de bout en bout, le roman montre comment ces familles tentent de faire face dans la tourmente.

Thomas Hart Benton - Le départ des Joad - 1937 - Ralph Foster Museum

Thomas Hart Benton – Le départ des Joad – 1937 – Ralph Foster Museum

Les Joad sont ainsi arrachés à leur ferme et mis sur les routes, obligés de vendre à perte leurs possessions. Le village du Voreux est quant à lui poussé par les dirigeants de la mine à la grève, afin de pouvoir mieux les licencier, le secteur étant en crise.

Dans ces deux romans les hommes et femmes des classes dites populaires se battent contre des forces presque insurmontables. Ce combat ardu les fait passer par des états d’abattement, de défaite, de désespoir, tout en montrant leur persévérance, leur volonté inouïe, leur solidarité.

Dans ces deux œuvres l’auteur décrit donc une humanité pressurée, réduite à la négation de soi. Situation qui crée une tension bientôt insupportable. Dans Germinal les protagonistes finissent par laisser exploser leur colère. Cette haine qui cède d’un coup, fait commettre aux habitants du coron les pires sauvageries (meurtres, destructions…), sauvageries dont ils jouissent d’une façon malsaine, se complaisant dedans. Une fois revenus à raison, ils ne sont pris d’aucun repentir.

En revanche, les Joad et les amis qu’ils rencontrent mènent plutôt une résistance muette, puis une révolte (notamment contre les policiers qui les maltraitent) mais sans véritable effusion. Les personnages des Raisins de la Colère sont presque tous d’une humanité exemplaire, pleins d’une générosité qui les transcende : on voit beaucoup d’entraide dans les camps de voyageurs dans lesquels ils se retrouvent. De même, Rosasharn, fille des Joad, alors qu’elle est enceinte, donne le sein à un homme affamé, reprenant ici l’imagerie chrétienne de la Vierge de Miséricorde. Les personnages sont d’une dignité à toute épreuve, ainsi même dans leur colère ils restent mesurés, tandis que la colère est à l’inverse démesure chez Zola.

L’humanité décrite par Zola est décrite de façon réaliste. Ce sont donc des gens « de tous les jours », pour lesquels on éprouve une vraie sympathie. Tandis que l’humanité de Steinbeck est plus idéale. Ce sont des êtres fragiles et émouvants, qu’on a toujours peur de voir brisés par les puissances qui les exploitent mais qui se relèvent, de façon toujours humble et avec une grande clémence.

Les personnages de Steinbeck et de Zola sont des gens pauvres, peu cultivés, mais honnêtes. On sent dans les deux œuvres une volonté de renverser cet état des choses, d’être plus cultivés, plus riches, plus « honorables ». Cette évolution se pressent plus qu’elle ne se dessine.

Les deux livres traitent du thème du rêve, des nouvelles aspirations sociales. Ainsi Steinbeck décrit le rêve américain avant l’heure, un rêve qui paraît encore simple et sain : le rêve d’un pays de cocagne où l’on trouve partout des raisins et des pêches juteuses (le grand-père Joad en parle souvent et en salive même !). Rêve d’une vie de travail et de gain simple. Alors que le rêve des habitants du coron de Germinal est à deux vitesses : manger à leur faim en gagnant plus, ce qui n’est que la vision à court terme, et devenir à leur tour la classe dominante, faire une révolution qui écraserait les bourgeois.

Les livres se terminent cependant sans que rien n’ait abouti, dans une incertitude relative. Chez Zola, la révolte du Coron est stoppée par la faim : les mineurs meurent les uns après les autres et sont bien obligés de retourner travailler, et ce pour un moindre prix. Chez Steinbeck, les Joad sont de nouveau chassés et sur les routes. Mais une note d’espoir apparaît : les classes populaires ont pris conscience de leurs malheurs et de leurs droits, et projettent leur regard vers l’avenir et la promesse d’un retournement définitif.

Ces deux romans montrent donc comment monte la colère (comme le laisse à penser le titre de Steinbeck) : une menace qui gronde, de façon presque sinistre à la fin de Germinal, de façon plutôt naturelle et libératrice dans les Raisins de la Colère, les personnages pensant en termes d’évolution naturelle, alors que chez Zola ils pensent en termes de force, de nécessaire violence pour se faire entendre.

Deux romans qui vous agrippent, qui vous prennent aux tripes, vous fendent le coeur, vous soulèvent. Pourquoi ces oeuvres nous émeuvent-elles ainsi ? Car c’est l’aventure humaine qui s’y joue…

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