Surprises à la Picasso

Petite visite du musée Picasso un samedi maussade. Outre les chefs-d’œuvre indéniables de l’artiste – magnifiques sculptures de la Chèvre, la Guenon et son Petit, portraits d’Olga, de Dora Maar et de Marie Thérèse, Nature morte à la Chaise Cannée et autres guitares – j’ai repéré pour vous quelques détails hors des sentiers battus.

Voici donc quelques œuvres qui ont retenu mon attention :

Et pour commencer en faisant le lien avec mon précédent article sur Don Quichotte, aviez-vous remarqué sa présence dans la célèbre Crucifixion de 1930 ?

Pablo Picasso, Crucifixion, 1930, Musée Picasso, Paris

Pablo Picasso, Crucifixion, 1930, Musée Picasso, Paris

Notre petit chevalier prend ici la place du soldat perçant le flanc de Jésus dans l’iconographie traditionnelle. En bas à droite, on retrouve les soldats jouant aux dés la tunique du Christ, toujours dans le respect de l’iconographie chrétienne. Le personnage denté et voilé qui semble vouloir mordre le Christ est-il la Vierge, que la douleur rend « monstrueuse »(car une telle douleur ne peut que dénaturer) ? Enfin notons le personnage rouge en haut de l’échelle qui enfonce les clous dans les mains du Christ comme un petit travailleur bien consciencieux…

Pablo Picasso, Le sacré coeur, 1909/1910, Musée Picasso, Paris

Pablo Picasso, Le sacré coeur, 1909/1910, Musée Picasso, Paris

Autre œuvre intéressante, une vision cubiste du Sacré Cœur. On connaît les portraits et natures mortes cubistes, bien moins les architectures qui pourtant revêtent, à l’aune de la diffraction cubiste, un aspect moderne et labyrinthique. On peut comparer cette œuvre avec les très belles productions de George Braque autour du château de La Roche-Guyon.

Georges Braque, Le château de la Roche Guyon, 1909, Stockholm, Moderna Museet

Georges Braque, Le château de la Roche Guyon, 1909, Stockholm, Moderna Museet

Picasso était un artiste extrêmement cultivé. Il a puisé son inspiration aussi bien dans les arts premiers (masques rituels du Gabon, du Mali, du Vanuatu….) que dans ses contemporains (Gauguin, Cézanne, Matisse), sans oublier ses « classiques », les grands maîtres Ingres, Raphäel, Manet… dont il reprendra les compositions tout au long de sa vie. Pour preuve ces Trois hollandaises reprenant la composition canonique des Trois Grâces.

Pablo Picasso, Les Trois hollandaises, 1905, Musée Picasso, Paris

Pablo Picasso, Les Trois hollandaises, 1905, Musée Picasso, Paris

Raphaël, Les Trois Grâces, 1504/1505, Musée Condé, Chantilly

Raphaël, Les Trois Grâces, 1504/1505, Musée Condé, Chantilly

Baron Regnault, Les Trois Grâces, 1798, Musée du Louvre

Baron Regnault, Les Trois Grâces, 1798, Musée du Louvre

Les Deux baigneuses m’ont fortement marquée : il s’agit d’une des œuvres où la dislocation des corps est la plus flagrante.

Picasso, Deux baigneuses, 1920, Musée Picasso, Paris

Picasso, Deux baigneuses, 1920, Musée Picasso, Paris

Ici les seins coulent, les jambes s’amollissent, les torses s’étirent ou se contractent… Mais surtout, Picasso nous donne à voir des morceaux de corps et non plus un corps construit ! La tête de la baigneuse de gauche ne repose ainsi pas au bon endroit sur le tronc. Sa jambe repliée débouche artificiellement d’un drap qui masque le vide. La jambe gauche disparaît quant à elle, tandis qu’une troisième jambe émerge au milieu des deux premières… Que dire de la baigneuse de droite, affublée d’une tête réduite à la mode jivaro, et fondamentalement désossée ?

Pablo Picasso, Femmes à leur toilette, 1938, Musée Picasso, Paris

Pablo Picasso, Femmes à leur toilette, 1938, Musée Picasso, Paris

Reparlons des « emprunts » de Picasso. L’envahissement du motif et la femme dévorée par la tapisserie vient en droite ligne des recherches d’Henri Matisse, éternel ami/rival de Picasso… A voir dans le même esprit, tous les papiers découpés de Matisse.

Henri Matisse, La famille du peintre, 1911, Musée de l'Ermitage, Saint Pétersbourg

Henri Matisse, La famille du peintre, 1911, Musée de l’Ermitage, Saint Pétersbourg

Henri Matisse, Pianiste et joueurs d'échecs, 1924, National Gallery, Washington

Henri Matisse, Pianiste et joueurs d’échecs, 1924, National Gallery, Washington

Pablo Picasso, Le Faucheur, 1943, Musée Picasso, Paris

Pablo Picasso, Le Faucheur, 1943, Musée Picasso, Paris

Une sculpture que je ne connaissais pas, le Faucheur, simple moissonneur ou figuration cathartique de la mort, qui serait finalement innocente comme un enfant ?

Pablo Picasso, La Minotauromachie, 1935, Musée Picasso, Paris

Pablo Picasso, La Minotauromachie, 1935, Musée Picasso, Paris

Et pour terminer, une minotauromachie… sans détailler l’oeuvre, extrêmement complexe, on remarquera l’analogie du cheval avec un dragon, gueule ouverte et naseaux fumants… Réminiscence des combats de Saint Georges contre le Dragon, ou du Dragon guère plus sympathique de l’apocalypse ?