L’obscur imaginaire de la forêt

La forêt est un lieu complexe, dont l’architecture de branches et de ronces tournoyant se propose comme un labyrinthe organique. La forêt est souvent dépeinte comme un lieu sombre, plein d’embûches. Image de notre propre désordre intérieur, elle recèle nos peurs et nos démons.

Ainsi, du dessin-animé à la peinture, en passant par le cinéma, les arbres aux branches noueuses et tordues évoquent, sinon deviennent, de véritables monstres.

Arthur Rackham, illustration pour The legend of Sleepy Hollow de Washington Irving, 1928

Arthur Rackham, illustration pour The legend of Sleepy Hollow de Washington Irving, 1928

Chez l’illustrateur Arthur Rackham, l’arbre de Sleepy Hollow n’a pas de forme clairement identifiée, cependant, ses circonvolutions, ses boursouflures et ses nœuds évoquent des corps sous-jacents. Dans l’adaptation qu’en tire Tim Burton (en s’inspirant fortement de Rackham), cet arbre terrifique recèle d’ailleurs des cadavres non digérés, pointant sous la surface raidie du bois…
Voir à ce titre l’excellente analyse d’Alice Vincens : L’arbre de la mort.

Illustration pour Blanche Neige, 1937

Illustration pour Blanche Neige, 1937

Les illustrations préparatoires au long métrage Blanche Neige de Walt Disney dépeignent quant à eux une forêt métamorphe et monstrueuse.

Forest layout, illustration pour Blanche Neige, 1937

Forest layout, illustration pour Blanche Neige, 1937

Branches, ronces, racines se meuvent comme de véritables griffes acérées pour faire obstacle à la jeune fille. L’hybridation de l’arbre n’est plus sous-entendue mais formellement établie.

Gustaf Tenggren, Dark forest scene, illustration pour Blanche Neige, 1937

Gustaf Tenggren, Dark forest scene, illustration pour Blanche Neige, 1937

La forêt est tortueuse mais aussi torturée, à l’image même de ceux qui la traversent. La forêt du petit Poucet est à ce titre inquiétante car le personnage y perd ses derniers repères. Abandonné, il se trouve seul face à lui-même. La forêt évoque alors le dédale de la pensée : celle-ci se perd puis se retrouve, elle se hante elle-même. En l’occurrence, pour Poucet, il s’agit de l’idée d’abandon qui l’effraie et le blesse.

Gustave Doré, Illustration pour Le Petit Poucet, 1867

Gustave Doré, Illustration pour Le Petit Poucet, 1867

La forêt recèle des profondeurs insondables. Son paysage très fouillé, encombré de taillis et de végétation folle, n’offre au voyageur qu’illusions et dissimulations. Ainsi sont représentées nombres de jungles, version plus sauvage s’il en est de la forêt, plus exotique aussi. La jungle est peut-être encore plus dangereuse, car plus vaste, plus dense, plus noire. Serpents venimeux, lianes assassines et autres fondrières s’y cachent. C’est la beauté de ce ténébreux péril que rend Gustave Doré dans son illustration de la forêt pour Atala.

Gustave Doré, illustration pour Atala de Chateaubriand, 1863

Gustave Doré, illustration pour Atala de Chateaubriand, 1863

Enfin, l’image d’une forêt torturée culmine dans les illustrations pour l’Enfer de Dante, de Gustave Doré à Jacques Deffontaine.

Jacques Deffontaine, Illustration pour l'Enfer de Dante, chant XIII, 1976

Jacques Deffontaine, Illustration pour l’Enfer de Dante, chant XIII, 1976

La forêt des damnés, un des épisodes racontés par Dante, fait ici fusionner chair et écorce, sang et sève. Les corps des suppliciés sont absorbés par les troncs, les bras deviennent de longues branches et les visages se solidifient dans les veines du bois.

Jacques Deffontaine, Figée,1976

Jacques Deffontaine, Figée,1976

L’imaginaire de la forêt comme lieu fantastique, tant fascinant que périlleux, est extrêmement nourri. D’autres évocations sont donc à venir…