La chevelure, un des fantasmes de la féminité par excellence.
De la peinture à la sculpture, elle fait fonction de parure naturelle de la femme. Toutefois, dans certaines œuvres, elle devient véritablement le sujet principal :
Opulente, ondoyante, la chevelure, par sa texture riche et son mouvement voluptueux, devient, chez Matisse ou Russolo, une métaphore de la femme. La partie évoque ici le tout, se substituant au corps dans son entier : courbes, sinuosités, chaleur (évoquée par les tons de flamme de la peinture de Russolo), mais aussi sensations tactiles (douceur, légèreté ou au contraire lourdeur…).
La sensualité du cheveu peut même devenir diabolique comme dans les œuvres symbolistes de la fin du 19ème siècle, par exemple celles de Franz Von Stuck, Gustav Klimt ou encore Giovanni Segantini. Chez Stuck, la chevelure brune, épaisse, cache de sombres mystères. Elle séduit, envoûte, et fait tomber dans le péché, clairement symbolisé par le serpent qui la prolonge. Enfin la chevelure fonctionne comme substitut d’une autre pilosité, tout aussi fournie, attirante et secrète…
Or cette même chevelure est bientôt frappée d’anathème, à travers le mythe de Méduse. Maudite pour sa beauté ensorcelante, Méduse voit sa chevelure se transformer en serpents, son charme aimable devenir monstrueux. Charme stupéfiant, au sens propre du terme.
Segantini condamne aussi à sa façon cette chevelure libertine, en en faisant l’apanage des « mauvaises mères », femmes de mauvaises mœurs, qui se voient punies de cruelle façon. Leur chevelure devient toile et prison, elle les accroche à des arbres dont les branches, se confondant avec le drapé, s’enroulent autour du corps des femmes. Étrange analogie avec la figure de la crucifixion.
La chevelure, rousse en particulier, est un sujet de prédilection à la fin du 19ème siècle. Image d’une féminité idéalisée, cette chevelure est aussi marque de vanité (vanité de la beauté, de la femme, mais aussi de l’idéal féminin), comme le montrent les œuvres de Fernand Khnopff, Dante Gabriel Rossetti ou encore Gustav Klimt.
Dans les Serpents d’Eau de Klimt, la chevelure ruisselle autour des corps, soulignant les courbes ondoyantes et suaves des fesses, des cuisses, du dos.
Dans d’autres œuvres, la chevelure devient voile, cache l’intimité pour mieux dévoiler la sensualité des corps. Cette ambiguïté est à relier avec l’iconographie de Sainte Marie Madeleine, la pécheresse repentie.
Or la chevelure de Marie Madeleine, autrefois symbole de sensualité et de lucre, lui devient objet d’humilité : elle s’en sert pour essuyer les pieds du Christ sur la croix. Dans la sculpture de Gregor Erhardt, la chevelure devient habit, bien que camouflant partiellement sa nudité. Toutefois le sculpteur, en laissant voir cette chair, exprime un corps assumé et lavé de ses péchés : donc d’une beauté innocente proche de l’Éden originel.
Le corps de la Madeleine n’est pas provocant, mais propice à une contemplation apaisée. Cette image fait écho à la Naissance de Vénus de Botticelli qui dépeignait quant à lui une beauté divine, quoi que déjà plus tendancieuse, puisque celle de Vénus…
Et par ce retour au profane et au sensuel, la boucle est ainsi bouclée – c’est le cas de le dire !
—
Et en bonus, ne manquez pas de (re)lire La Chevelure de Charles Baudelaire (1857) :
« Ô toison, moutonnant jusque sur l’encolure !
Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir !
Extase ! Pour peupler ce soir l’alcôve obscure
Des souvenirs dormant dans cette chevelure,
Je la veux agiter dans l’air comme un mouchoir !
La langoureuse Asie et la brûlante Afrique,
Tout un monde lointain, absent, presque défunt,
Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique !
Comme d’autres esprits voguent sur la musique,
Le mien, ô mon amour ! nage sur ton parfum.
J’irai là-bas où l’arbre et l’homme, pleins de sève,
Se pâment longuement sous l’ardeur des climats ;
Fortes tresses, soyez la houle qui m’enlève !
Tu contiens, mer d’ébène, un éblouissant rêve
De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts :
Un port retentissant où mon âme peut boire
A grands flots le parfum, le son et la couleur ;
Où les vaisseaux, glissant dans l’or et dans la moire,
Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire
D’un ciel pur où frémit l’éternelle chaleur.
Je plongerai ma tête amoureuse d’ivresse
Dans ce noir océan où l’autre est enfermé ;
Et mon esprit subtil que le roulis caresse
Saura vous retrouver, ô féconde paresse,
Infinis bercements du loisir embaumé !
Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues,
Vous me rendez l’azur du ciel immense et rond ;
Sur les bords duvetés de vos mèches tordues
Je m’enivre ardemment des senteurs confondues
De l’huile de coco, du musc et du goudron.
Longtemps ! toujours ! ma main dans ta crinière lourde
Sèmera le rubis, la perle et le saphir,
Afin qu’à mon désir tu ne sois jamais sourde !
N’es-tu pas l’oasis où je rêve, et la gourde
Où je hume à longs traits le vin du souvenir ? »