Le chant des couleurs

Aujourd’hui, partons sur les traces d’un peintre pionnier de l’expressionnisme abstrait américain : Hans Hofmann.

Né en Allemagne en 1880, il passe le début du 20ème siècle en France, où il s’imprègne des avant-gardes. Il sera ainsi marqué par le fauvisme d’un Braque ou d’un Matisse, l’abstraction de Kandinsky, ou encore l’orphisme représenté par les époux Delaunay. Ces grands courants ont en commun l’exaltation de la couleur, l’éclatement et la mobilité des formes dans l’espace pictural. Ces principes deviennent les charnières de l’œuvre de Hofmann.

A Paris, Hofmann fréquente Picasso, Braque, les Delaunay et Matisse. Ses œuvres de jeunesse sont tributaires de leurs influences, notamment les intérieurs inspirés des ateliers de Matisse ou de Picasso.

Hans Hofmann, Interior composition, 1935, Berkeley Art Museum

Hans Hofmann, Interior composition, 1935, Berkeley Art Museum

 

Henri Matisse, L'atelier rose, 1911, Musée Pouchkine, Moscou

Henri Matisse, L’atelier rose, 1911, Musée Pouchkine, Moscou

Hans Hofmann, Table with teakettle, green vase and red flowers, 1936, Berkeley Art Museum

Hans Hofmann, Table with teakettle, green vase and red flowers, 1936, Berkeley Art Museum

Pablo Picasso, Grande nature morte au guéridon, 1931, Musée Picasso, Paris

Pablo Picasso, Grande nature morte au guéridon, 1931, Musée Picasso, Paris

Hans Hofmann, Still life, Yellow table on green, 1936, Dallas Art Museum

Hans Hofmann, Still life, Yellow table on green, 1936, Dallas Art Museum

 A partir de 1933, Hofmann émigre aux États-Unis. Se libérant peu à peu de l’empreinte du figuratif, Hofmann expérimente dans les années 1940 une conjonction de couleurs lumineuses et de formes fluides.

Hans Hofmann, Provincetown House, 1940, collection privée

Hans Hofmann, Provincetown House, 1940, collection privée

Hans Hofmann, Fantasia, 1943, Berkeley Art Museum

Hans Hofmann, Fantasia, 1943, Berkeley Art Museum

Il travaille par coulées et jets de peinture. Cette technique sera reprise et portée à son apogée par Jackson Pollock, sous le nom de « Dripping ».

Hans Hofmann, Spring, 1944-45, MOMA, New York

Hans Hofmann, Spring, 1944-45, MOMA, New York

Jackson Pollock, Convergence, 1952, Albright Knox Art Gallery, Buffalo

Jackson Pollock, Convergence, 1952, Albright Knox Art Gallery, Buffalo

Après les tournures fluctuantes, Hofmann passe dans la décennie suivante à des formes plus denses et structurées.

Hans Hofmann, Equinox, 1958, Berkeley Art Museum

Hans Hofmann, Equinox, 1958, Berkeley Art Museum

Hans Hofmann, Miz, pax vobiscum, 1964, Modern Art Museum of Fort Worth

Hans Hofmann, Miz, pax vobiscum, 1964, Modern Art Museum of Fort Worth

Ses superpositions de carrés influenceront peut-être Mark Rothko, qui fut son élève avec Lee Krasner ou encore Helen Frankenthaler.

Mark Rothko, n°5-n°22, vers 1950, MOMA, New York

Mark Rothko, n°5-n°22, vers 1950, MOMA, New York

Hans Hofmann, The conjuror, 1959, Städtische Galerie im Lenbachhaus und Kunstbau München, Munich

Hans Hofmann, The conjuror, 1959, Städtische Galerie im Lenbachhaus und Kunstbau München, Munich

Hans Hofmann, Above deep waters, 1959, Berkeley Art Museum

Hans Hofmann, Above deep waters, 1959, Berkeley Art Museum

 Au-delà du cercle des élèves, la pâte du maître se retrouve aussi chez d’autres tenants de l’expressionnisme abstrait américain comme Joan Mitchell ou Willem De Kooning.

Willem De Kooning, Composition, 1955, Guggenheim Museum, New York

Willem De Kooning, Composition, 1955, Guggenheim Museum, New York

Joan Mitchell, L'ecole buissonniere, vers 1959, Hammer Museum, Los Angeles

Joan Mitchell, L’ecole buissonniere, vers 1959, Hammer Museum, Los Angeles

Mort en 1966, Hans Hofmann aura donc été un jalon central de l’expressionnisme coloré au 20ème siècle. S’il a influencé nombre de protagonistes de l’art abstrait américain, n’oublions pas qu’il a tout autant reçu, se nourrissant d’échanges constants avec ses contemporains.

En revanche, la conception artistique d’Hofmann a ceci de particulier qu’elle revendique la musicalité des gestes picturaux, plutôt que l’action dynamique (Pollock) voire violente (De Kooning), ou encore le flottement méditatif (Frankenthaler, Rothko…).

Tout au long de sa carrière, Hofmann parle en effet en termes musicaux de sa peinture : la couleur permet selon lui de créer des intervalles, des tensions harmoniques… Cette conception mélodique de la peinture est héritée des idées de Robert Delaunay mais bien plus encore de Frantisek Kupka. Ce dernier s’appuie en effet sur la « gamme » chromatique pour créer un champ/chant harmonique dans lequel entrent en résonance les formes. Des œuvres aux titres évocateurs tels que « Les touches de Piano » ou « Fugue » convoquent ainsi, par les accords de formes verticales ou sphériques, par la vibration des couleurs, le déroulement d’un concert. Ou quand l’abstraction visuelle transpose l’abstraction sonore.

Frantisek Kupka, Les touches de piano, 1909, Narodni Galerie, Prague

Frantisek Kupka, Les touches de piano, 1909, Narodni Galerie, Prague

Frantisek Kupka, Etude pour Amphora, Fugue à deux couleurs et Amorpha, Chromatique chaude, 1911-12, Guggenheim Museum, New York

Frantisek Kupka, Etude pour Amphora, Fugue à deux couleurs et Amorpha, Chromatique chaude, 1911-12, Guggenheim Museum, New York

Frantisek Kupka, Disques de Newton, Etude pour Fugue à deux couleurs, vers 1911, Philadelphia Museum of art

Frantisek Kupka, Disques de Newton, Etude pour Fugue à deux couleurs, vers 1911, Philadelphia Museum of art

Cette même recherche d’accords subtils et de notes fugaces, fondus en un délicat équilibre, porte tout l’œuvre de Hans Hofmann.

Hans Hofmann, One Afternoon, 1955, The Phillips Collection, Washington

Hans Hofmann, One Afternoon, 1955, The Phillips Collection, Washington

Lumières estivales

C’est l’été, le soleil illumine enfin notre quotidien. L’occasion de faire un petit tour des plus beaux horizons dorés de la peinture occidentale…

Robert Delaunay, Paysage au disque, 1906, Musée National d'Art Moderne, Paris

Robert Delaunay, Paysage au disque, 1906, Musée National d’Art Moderne, Paris

Énorme, le soleil de Delaunay domine et diffuse ses vagues de chaleur par pulsations, en de petits aplats colorés. L’éblouissement fait virer la lumière au violine, qui contamine le paysage (à la fois forêt, avec les pins sur la droite, et île paradisiaque, avec le sable et les plantes exotiques en bas).

Frantisek Kupka, Forme de jaune, 1911, collection particulière

Frantisek Kupka, Forme de jaune, 1911, collection particulière

Parallèlement au divisionnisme de Delaunay, Frantisek Kupka propose dans sa Forme Jaune une manifestation de la radiance et de l’énergie à relier aux préoccupations du futurisme et de l’orphisme de cette époque. Les traits, fins et ordonnés en rectangles juxtaposés, sont tissés de lumière grâce au mélange de somptueux jaunes relevés de bruns, vieux roses, pourpres et bleus.

Edvard Munch, Le soleil, 1910-1913, Munch Muset, Oslo

Edvard Munch, Le soleil, 1910-1913, Munch Muset, Oslo

Cette segmentation des rais lumineux apparaît dans la production d’un autre artiste de la même période : Edvard Munch. Le soleil nordique irradie ici la baie d’un fjörd. L’utilisation de longues touches de couleur rectilignes et de cercles concentriques concourt à cet effet.

Joseph Mallord William Turner, Soleil couchant sur un lac, 1840, Tate Gallery

Joseph Mallord William Turner, Soleil couchant sur un lac, 1840, Tate Gallery

Oublions les soleils zénithaux pour (re)découvrir la subtilité des soleils couchants de Turner. Ici, l’astre déclinant n’en est que plus intense. Son rayonnement, diffus, contamine la totalité de la toile. Ciel et mer s’unissent en une même surface coruscante, animée de reliefs donnés par des empâtements de jaune et de rouge ocré. Ainsi, la toile s’anime, et laisse à entendre la fugacité d’un instant sublime.

Vincent Van Gogh, Champ de blé avec faucheur et soleil, 1889, Kröller Müller Museum, Otterlo

Vincent Van Gogh, Champ de blé avec faucheur et soleil, 1889, Kröller Müller Museum, Otterlo

A l’inverse de ce soleil à la fois puissant et délicat, les œuvres d’un Van Gogh montrent un soleil brûlant, inondant le ciel et les champs de sa vivacité colorée. Dans l’aveuglement de midi, tout devient jaune, y compris le petit faucheur étonnamment à l’aise dans cette ambiance ardente.

Nicolas De Staël, Le soleil,1952, MUMA, Le Havre

Nicolas De Staël, Le soleil,1952, MUMA, Le Havre

Enfin le soleil de Nicolas De Staël est très pur, presque blanc. Immense, il envahit la toile resserrée et écrase les champs délimités par de larges aplats rectangulaires au bas de la toile. Toutefois, cette disproportion apparente sert la perspective en suggérant que la terre est vue de très loin, en plongée, alors que le soleil offre un second point de vue redressant notre regard de face. L’air vibre grâce au jaune profond qui nimbe le soleil, et dans lequel viennent se nicher deux silhouettes d’oiseaux donnant profondeur et mouvement à l’espace pictural.