L’art du portrait : le visage en question #1

Durant mes études supérieures, j’ai écrit un mémoire sur la représentation du visage dans les portraits peints du 20è siècle, en m’interrogeant sur son altération (en particulier à travers les procédés d’effacement et de recouvrement).

Après avoir élagué, dépoussiéré, nettoyé, maudit, lustré ce texte, je vous le fais partager à travers une série d’articles.

Miquel Barcelo, Autoretrat Fumat, 2010

Miquel Barcelo, Autoretrat Fumat, 2010

Tout portrait fait état d’une absence. Il donne en effet à voir l’absence du modèle et son remplacement par une représentation picturale. Dès l’origine mythique du dessin, l’image semble destinée à rappeler l’absent : au 1er siècle, Pline rapporte ainsi le mythe de Dibutade, jeune fille traçant sur un mur le profil du visage de son amant qui part à la guerre. Au 20ème siècle, si le portrait continue de rappeler l’absent, il insiste sur l’absence elle-même.

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Joyaux du Louvre

Durant mes années d’études supérieures à l’Ecole du Louvre, ce musée est devenu comme ma seconde maison. Je vous propose aujourd’hui une petite visite guidée parmi mes œuvres préférées. Loin d’être exhaustif, j’espère que cet avant-goût vous incitera à l’exploration !

Table de toilette de la Duchesse de Berry, vers 1819, Paris, Musée du Louvre

Table de toilette de la Duchesse de Berry, vers 1819, Paris, Musée du Louvre

Ce magnifique ensemble en cristal, verre et bronze doré a été acquis par la Duchesse de Berry pour son château de Rosny sur Seine. Le style empire du mobilier est ici renouvelé grâce à l’usage atypique du cristal. Les formes torses des montants de la chaise et de la table sont en revanche caractéristique de ce style de mobilier du début du 19ème siècle.

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Têtes vagabondes

En juin dernier se terminait au musée d’Orsay l’exposition « l’Ange du bizarre ». Parmi les diverses expressions de la douleur et de l’inquiétante étrangeté, comme dirait Freud, se trouvaient quelques têtes coupées.

Depuis le 19ème siècle, l’esthétique du fragment marque profondément les arts plastiques. Le membre coupé, reliquat de chair marqué par la souffrance, fascine les romantiques comme Géricault et bien plus tard des sculpteurs comme Rodin.

La tête coupée reste toutefois la plus poignante expression de l’horreur et du martyre. La star de ces vagabondes : Méduse.

Le Caravage - Méduse - 1597/1598

Le Caravage – Méduse – 1597/1598

Si Méduse pétrifie d’un simple regard, sa décapitation la stupéfie elle-même (c’est-à-dire la surprend et la paralyse). Acte d’exorcisme, la décollation revêt également une forte dimension sexuelle : elle symbolise la castration. Tuer Méduse, c’est donc lui enlever son pouvoir de domination sur la gent masculine. Il s’agit de renverser ce caractère « viril » de Méduse qui jette l’effroi sur les hommes. De fait, sa nature hybride la met au dessus des différenciations de sexe et des contingences qui en résultent. La parabole de Méduse décrit comme monstrueux la libération de la femme de l’oppression masculine. Le sexe faible se rebellant est contre nature ! Sa mort est dès lors nécessaire, afin de la rendre femme à nouveau…

Pieter Paul Rubens - Tête de Méduse - 1618

Pieter Paul Rubens – Tête de Méduse – 1618

Les artistes se sont attachés à la représentation de cette tête scindée du reste de son corps, d’un être mutilé au plus profond de lui-même. Dans l’oeuvre du Caravage, Méduse est figée dans un cri de terreur éternel. Valdinguant dans les airs, le sang giclant de son cou, elle reflète l’acharnement de la violence humaine. La représentation qu’en donne Rubens est plus calme mais plus glaçante : posée sur un rocher, son teint cireux signale déjà la corruption en marche.

Paul Dardé - Eternelle Douleur - 1913

Paul Dardé – Eternelle Douleur – 1913

Paul Dardé s’intéresse pour sa part à Méduse en tant que victime, être souffrant doublement. Belle jeune fille violée par Poséidon dans le temple même d’Athéna, elle est ensuite punie par cette dernière pour avoir souillé son temple et métamorphosée. Hybride, affublée de serpents, elle « sidère » tous ceux qui s’approchent d’elle, devenue expression bifide de l’extrême laideur mêlée à l’extrême beauté. Persée, en la tuant par la suite, lui procure à la fois tourment et soulagement : son agonie la délivre en effet.

Dardé est sans doute un des artistes ayant le mieux compris cette dualité. Il exprime dans le travail du marbre, par les enroulements infinis de la chevelure, les yeux clos et le rejet de la tête en arrière, la souffrance et le déchirement – dans tous les sens du terme – que ressent Méduse. Déchirement qui est aussi une libération. On sent alors poindre dans l’oeuvre comme un dernier soupir apaisé.

Auguste Rodin - Tête de Saint Jean Baptiste sur un plat- 1887

Auguste Rodin – Tête de Saint Jean Baptiste sur un plat- 1887

Rodin, le maître du fragment, a produit une Tête de Saint Jean-Baptiste sur un plat en 1887. Dans le Nouveau Testament, le Saint est décapité à la demande de Salomé (influencée par sa mère). Comme les artistes précédents, Rodin montre une tête qui continue à vivre après la mort. Ce lambeau d’être condense en une seule partie le tout. La tête se fait microcosme de l’homme. Elle ne saurait donc trépasser, elle en est la trace et l’essence.

Gustave Moreau - L'Apparition - 1876

Gustave Moreau – L’Apparition – 1876

L’importance du visage qui « reste », planant comme une ombre, se retrouve chez Moreau. Ici la tête solitaire de Saint Jean Baptiste fait face à Salomé, lui adressant à l’infini ses derniers reproches… En même temps, le saisissement éprouvé par le saint se perçoit dans le mouvement violent de Salomé (elle-même surprise) et dans les rayons de l’auréole, qui sont comme des cordes en tension.

Constantin Brancusi - La Muse endormie - 1910

Constantin Brancusi – La Muse endormie – 1910

Brancusi muse endormie

Une telle dynamique s’oppose à l’oeuvre de Constantin Brancusi, empreinte de calme et de sérénité. Pourtant, sa muse endormie est bel et bien décapitée, comme le montre son cou entamé vu de dos. Son repos est éternel. Mais, détachée de l’anecdote, la muse ne renvoie à rien d’autre qu’à elle-même. Expression de l’ambiguïté entre Hypnos et Thanatos, entre sommeil et mort, la pureté de ses lignes suggère, peut-être, l’apaisement que l’on trouve de l’Autre Côté… Un apaisement qui contraste avec cette nuque sectionnée et qui fonde tout le mystère de l’oeuvre.