La Labyrinthèque vous propose désormais son « heure du conte », petite chronique erratique pour soigner la morosité ambiante.
Les parents ne s’y trompent pas, le conte est un formidable vecteur d’éducation morale et culturelle. Mais pourquoi le conte serait-il cantonné au monde de l’enfance ? Il peut en effet apporter à tout âge sagesse, réjouissance, sérénité comme mélancolie…
Cette semaine, partons donc à la découverte des contes populaires du monde. Je vous propose, en abrégé, un conte rapporté par Reine Cioulachtjian dans ses Contes d’Arménie :
Le stupide :
Un pauvre paysan travaillait sans relâche pour pouvoir manger à sa faim, mais, en dépit de tous ses efforts, restait toujours pauvre. Découragé, il décide d’aller se plaindre de son sort à Dieu. Chemin faisant, il rencontre un loup famélique qui lui demande où il se rend.
– Je vais me plaindre à Dieu, répond le paysan, je suis trop pauvre et ce n’est pas juste.
– Peux tu aussi parler pour moi à Dieu ? Du matin au soir je cours les bois pour chercher ma nourriture, mais souvent sans succès. Pourquoi Dieu m’a-t-il créé si c’est pour me laisser mourir de faim ?

Le loup famélique de Merlin l’enchanteur – Studios Disney – 1963
Le paysan promet de poser la question à Dieu et reprend son chemin. Plus tard, il rencontre une jolie jeune fille qui se lamente. Il lui explique son but et lui propose alors de transmettre une requête à Dieu.
– Je t’en prie, demande lui pourquoi une jeune fille douce, jolie et bonne comme moi reste seule, sans personne à qui parler jamais ? Le paysan promet de poser la question et poursuit sa route.

Camille Corot – Jeune femme tressant une couronne de fleurs – 1870 – Museum of Fine Arts, Boston
Enfin, il aperçoit un arbre tout rabougri auprès d’un petit ru. Ce dernier se lamente. Le paysan lui propose de porter un message pour lui à Dieu.
L’arbre lui demande d’expliquer son cas à Dieu :
– Je suis planté sur une terre fertile, mes racines sont abreuvées par l’eau du ruisseau, et pourtant je me dessèche. Personne ne s’arrête sous mon feuillage et aucun enfant ne vient jouer dans mes branches tant je suis ratatiné.

Caspar David Friedrich – L’arbre aux corbeaux – 1822 – Musée du Louvre
Le paysan se remet en marche et finit par arriver devant Dieu. Il lui expose son problème, et Dieu répond :
– Rentre chez toi, brave homme. A deux reprises, tu rencontreras ta chance. Saisis la et tu seras riche et heureux.
Avant de partir, le paysan expose les cas du loup, de la jeune fille et de l’arbre, et, pour chacun, Dieu lui donne des solutions.
Sur le chemin du retour, l’arbre demande au paysan s’il a des nouvelles pour lui.
– Dieu a dit qu’un coffre empli d’or était enterré sous tes racines et t’empêchait de croître. Qu’on enlève cet or et tu reverdiras, lui répond le paysan.
– Fantastique ! s’écrie l’arbre. Vite, creuse et prends l’or, nous serons heureux tous les deux.
– Non, je n’ai pas le temps, répond le paysan. Dieu m’a offert ma chance, il me faut rentrer chez moi et en profiter !
Il s’éloigne rapidement et arrive à la hauteur de la chaumière de la jeune fille.
– Qu’a dit Dieu pour moi ? s’enquiert-elle.
– Il a expliqué que pour trouver la joie et le bonheur, il te faut un compagnon avec qui tout partager.
Un grand espoir saisit la jeune fille qui prend les mains du paysan et lui déclare :
– Puisque c’est ainsi, épouse moi ! Nous serons heureux ensemble !
– Non non, répond le paysan. Dieu m’a donné ma chance, je n’ai pas le temps. Je dois rentrer chez moi et en profiter.
Il laisse la jeune fille mortifiée derrière lui et retourne chez lui. Avant d’arriver, il croise le loup, qui vient aux nouvelles.
Le paysan, un peu fatigué de ses longues pérégrinations, s’assoit sur le rocher et raconte toute son aventure au loup. Celui-ci en vient alors à demander :
– Et que t’a raconté Dieu à mon sujet ?
– Dieu pense que tu devras errer affamé jusqu’à ce que tu rencontres un imbécile qui assouvira ta faim.
Alors le loup ouvre grand la gueule en un sourire carnassier et dit :
– Où trouverais-je un plus grand imbécile que toi ?
Et il croqua le paysan.
- Retrouvez ce conte en intégralité et bien d’autres dans : Contes d’Arménie. Reine Cioulachtjian, éditions Sutton, 2014.
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