Aujourd’hui, je vous présente sous forme de morceaux choisis trois livres de Michel Pastoureau, spécialiste de l’histoire des couleurs et de l’héraldique : Vert, histoire d’une couleur ; Rouge histoire d’une couleur et Bleu, histoire d’une couleur !
De l’antiquité à nos jours, Pastoureau retrace dans ces essais l’histoire de l’emploi de la couleur, ses acceptions symboliques, son usage social, scientifique et artistique.
⇒ Dans Vert, histoire d’une couleur, on apprend par exemple que l’expression « vert galant » attribuée à Henri IV après sa mort selon un usage flatteur, désigne à l’origine un bandit caché dans les bois pour détrousser des promeneurs ou s’attaquer à la gent féminine !
⇒ La croyance selon laquelle le vert porterait malheur dans le milieu du spectacle vivant remonte à une série de drames dès la fin du moyen-âge. En effet, teindre les costumes en vert était alors compliqué, on utilisait par substitution du verdet, obtenu à partir de différents acétates de cuivre, et fortement toxique !
⇒ Le problème de la teinture est très largement abordé par Pastoureau. Au moyen-âge, il faut ainsi tenir compte des restrictions sur le droit de teindre : il faut une licence pour teindre en rouge, une autre pour le bleu, etc. Les teinturiers de bleu font parfois les tons noirs et ceux de rouge les tons jaunes. Mais il est à l’époque inconcevable de mélanger bleu et jaune pour obtenir du vert, le mélange étant considéré comme un procédé suspect si ce n’est diabolique.
⇒ Dans Rouge, histoire d’une couleur, Pastoureau nous apprend que de nombreux langages opèrent un lien direct entre le mot « couleur » et le mot « rouge ». Ainsi, selon le contexte, coloratus en latin ou colorado en castillan moderne peuvent signifier l’un et l’autre termes.
⇒ Les théologiens du moyen-âge voient dans les menstrues une punition infligée par Dieu à Eve en souvenir du péché originel. Le corps féminin sera très longtemps associé à l’impureté voire à l’immondice.
⇒ Le rouge est associé à la prostitution : dans la Bible, la grande prostituée de Babylone est vêtue de rouge et chevauche une bête rousse. Dès la fin du moyen-âge, certains règlements municipaux obligent les prostituées à porter une pièce de vêtement de couleur vive. Ce sera très souvent le rouge.
⇒ Le rouge désigne également les nuances de l’amour (courtois, divin, charnel de façon plus tardive), la violence, le sang rédempteur du Christ ou encore le pouvoir !
⇒ A Florence, au 14ème siècle, les teinturiers de rouge et de bleu salissent les eaux de l’Arno de leurs décoctions. Les autorités municipales ont dû établir un calendrier de roulement pour leur éviter de se nuire mutuellement de même qu’aux pêcheurs, lavandières et autres métiers ayant besoin d’eaux propres !
⇒ Le rouge est aussi associé à la sanction : c’est la couleur du vêtement des condamnés et des bagnards. On marque au fer rouge, et les professeurs corrigent les copies des élèves en rouge.
⇒ Les roux sont par ailleurs stigmatisés : Caïn et Judas dans la bible, Renart dans le roman médiéval…
⇒ Pastoureau s’arrête aussi sur l’histoire de la tomate ; introduite en Europe par les espagnols au début du 16ème siècle, elle provient d’Amérique du sud. Pendant deux siècles, on la cultive pour l’ornement. Elle ne sera jugée comestible que bien plus tard. Dans l’intervalle on la surnomme « pomme d’or » ou « pomme d’amour ».
⇒ Dans la littérature, le rouge a aussi une valeur symbolique forte mais pas toujours aisée à analyser. Pastoureau prend l’exemple du conte de Perrault, Le Petit Chaperon Rouge. Pastoureau ne valide pas l’interprétation psychanalytique selon laquelle la jeune fille manifeste son désir par son habit, et se retrouve effectivement dans le lit du prédateur/séducteur à la fin du conte. En effet, le rouge comme symbole du désir sexuel émerge seulement à partir du 19ème siècle. Perrault parle lui des premiers émois adolescents, plutôt symbolisés par le vert à l’époque. En revanche le rouge est souvent porté par les enfants pour mieux les surveiller. C’est aussi une couleur de fête. On peut penser qu’aller chez sa mère grand représente pour la jeune fille un moment festif. C’est aussi la couleur du saint-esprit, or Perrault s’inspire dans son conte d’une histoire médiévale se passant à la Pentecôte (fête du saint-esprit).
⇒ Dans Bleu, histoire d’une couleur, on apprend que le bleu est dans l’Antiquité une couleur suspecte, associée aux Enfers mais aussi aux barbares réputés s’en teindre le corps (Germains et Celtes utilisant le guède).
⇒ Le bleu ne commence à être à la mode qu’à partir du 12ème siècle en occident, étant alors associé dans les arts au vêtement de la Vierge Marie.
⇒ La découverte de la nuance du Bleu de Prusse a une histoire particulière. En 1709, à Berlin, cette couleur est découverte par hasard. Diesbach, droguiste et fabricant de couleurs, l’obtient en cherchant à faire du rouge à partir de sulfate de fer et de carbonate de potasse frelaté que lui a vendu un pharmacien peu honnête, Johann Konrad Dippel. Diesbach ne prend pas la mesure de sa découverte et c’est Dippel qui perfectionne la recette et la commercialise. Il fait fortune jusqu’à ce qu’un chimiste anglais, Woodward, perce le secret en 1724. Dippel devient ensuite médecin à la cour du roi de Suède Frédéric Ier, mais en sera expulsé pour avoir mis au point plusieurs médecines fort dangereuses !
⇒ On ne peut parler du bleu sans raconter l’histoire du blue jeans. Conçu par Lévi Strauss en 1853, le jean est fait de toile de tente et de bâche, fabriquée en laine et lin puis lin et coton. Ce mélange est d’origine gênoise ; on l’utilise dès le 16ème siècle pour les voiles de navires, pantalons de marins, toiles de tentes et bâches. La matière utilisée à partir des années 1860 est le denim, tissu de serge importé d’Europe et teint en bleu. Le mot denim pourrait venir du « serge de Nîmes » ou bien du « nim« , drap de laine produit dans le Roussillon et en Provence. Grâce au jean, Lévi Strauss meurt milliardaire en 1902. Il faut attendre les années 1930 pour que, d’un vêtement de travail, le jean devienne un vêtement de loisirs et de vacances.
J’avais lu Bleu, l’histoire d’une couleur de Michel Pastoureau. Absolument passionnant! Il faudrait d’ailleurs que je lise les autres.
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Merci ! Oui en plus cela se lit très vite car le découpage thématique est bien fait.
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C’est fascinant tout ce qui peut se jouer derrière de simples couleurs !
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Oui surtout quand on parle de symbolique, ça peut devenir très foisonnant !
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Il y en a quelques uns qui me sont complétements incompréhensibles…
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L’abstraction n’est pas tellement là pour être compréhensible, mais plutôt « préhensible » à mon sens. De l’ordre de la sensation d’abord, puis ensuite de l’émotion. Par exemple Lucio Fontana lacère sa toile, il y a donc une certaine violence, mais ici atténuée par le vert, qui est presque lénifiant tellement il est mat et sans nuances. Yves Klein utilise quant à lui le corps de femmes enduit de peinture bleue et plaqué sur la toile. Cette marque du corps est donc une trace de sensation, mais intellectualisée par ce bleu très particulier. Bien sûr toutes ces interprétations ne sont que potentielles. Tout dépend du regardeur, qui a le droit de réagir ou non 🙂
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Ben heureusement que tu es là, car je en comprenais vraiment pas cette toile…
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C’est vrai que l’histoire de l’art peut nous aider à comprendre mais au final c’est toujours notre sensibilité qui nous guide, et en cela, chacun trouve sa propre vérité ! (Ouh là ça devient presque mystique 😉 )
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Merci. Pour moi c’est une découverte .
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Il existe encore d’autres ouvrages de Pastoureau, notamment sur le Noir, et un sur le Jaune à paraître je crois.
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