Le renouveau du bestiaire fantastique et baroque au 20ème siècle
Les représentations de créatures fantastiques, entre cocasserie et étrangeté, fourmillent dès l’antiquité et le moyen-âge. Les récits mythologiques, ainsi que la Bible, fournissent de très nombreux sujets d’illustrations : démons infernaux, dragons affrontés par des saints personnages (Saint Georges ou Saint Michel notamment), créatures monstrueuses combattues par des héros de légende (d’Ulysse à Persée)…
Certains artistes, tels Peter Bruegel l’ancien ou Jérôme Bosch, excellent dans les représentations extravagantes, mettant en scène des figures singulières aux comportements inquiétants.

Pieter Bruegel l’ancien, La chute des anges rebelles, détail, 1562, Bruxelles, Musées Royaux des Beaux-Arts
Au début du 19ème siècle, le courant du romantisme noir offre un terrain fécond à la création de monstres détachés de tout récit préexistant. C’est dans cette atmosphère qu’un Jean-Jacques Grandville, illustrateur et auteur humoristique, invente tout un répertoire de créatures imaginaires qu’il décrit dans son roman Un autre monde (1844).
Le 20ème siècle se confronte plus que jamais à l’anormal. L’ambivalence héritée des Bruegel et autres Bosch est toujours de mise : le surréalisme notamment joue sur l’inquiétante étrangeté de créatures au premier abord comiques.
L’œuvre Composition du peintre roumain Victor Brauner, membre du groupe surréaliste, est d’une volontaire naïveté d’exécution afin de rapprocher la figure du monstre (lézard, dinosaure, dragon ?) d’un dessin d’enfant. On pourrait même y voir les prémisses du graphisme des premiers jeux vidéo…
En effet le jeu est une dimension primordiale pour les surréalistes. Brauner met en place une esthétique de la dérision au service d’un sujet dérisoire. De fait la représentation classique du dragon biblique n’a plus lieu d’être dans ce 20ème siècle marqué par les innovations technologiques et la guerre.
Henry Darger affirme bien plus encore la nature pernicieuse de cette violence. Avec son esthétique colorée et charmante, il dépeint des scènes de massacre perpétrées par ou contre des enfants. Entre 1930 et 1972, Darger écrit et illustre les 15 000 pages de The Story of the Vivian Girls, in What is known as the Realms of the Unreal, of the Glandeco-Angelinnian War Storm, Caused by the Child Slave Rebellion. Dans ce livre hors normes décrivant la guerre des Angéliques et des Hormonaux, Darger fait éclore un bestiaire incongru de « blengins » et de « rebonnas ». Mais sous leurs dehors mignons, ces êtres n’en sont pas moins venimeux…

Henry Darger, Gigantic Roverine with young all poisonous all islands of universan seas and oceans also in, 1930-1972
Malgré une inspiration souvent sombre, certains bestiaires fantastiques sont parfois franchement jouissifs. Tel celui constitué par Paul Klee, dont l’humour et l’humeur joyeuse nous donnent à voir des monstres rassurants, jugulés par l’homme.
A l’aube du 21ème siècle, l’incongruité et la brutalité reparaissent de plus belle sous le pinceau d’artistes comme Jean-Michel Basquiat.
D’un décryptage complexe, le monde de Basquiat témoigne d’influences des arts premiers, du street art alors émergent, mais aussi d’un environnement encore violent à l’encontre de la communauté noire américaine dont il fait partie.
Les créatures qu’il invente, loin d’être innocentes, jouent selon les règles cruelles des hommes : dialogues et gestes agressifs, clous enfoncés dans les chairs et matraques brandies.
On tend alors vers l’hybride, ce monstre plus monstrueux que le monstre, puisqu’il est aussi homme…
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