Évanescence, effacement, pâleur, dilution, brouillage… autant de solutions picturales pour traduire le fantomatique.
Etre mystérieux et inquiétant chez Serafino Macchiati, Paul Gauguin, Henri Michaux ou Léon Spilliaert, le revenant est aussi une trouble émanation de notre propre inconscient, que nous proposent en miroir les portraits de Miquel Barcelo, Zoran Music, Gerhardt Richter ou encore Eugène Carrière…

Paul Gauguin, Figure spectrale portant la main à son front ou Madame la Mort, 1890, Paris, Musée d’Orsay
La dialectique de l’apparition/disparition se comprend différemment selon la sensibilité des artistes : Zoran Music, rescapé des camps de la mort, traduit sa vision de l’humanité mise en péril ; Gerhart Richter substitue au personnage le flou comme sujet de la peinture (flou matriciel, riche de toutes les possibilités de l’imaginaire) ; Eugène Carrière étale la matière et diffuse ses personnages dans la toile afin de créer une atmosphère d’intimité telle que la produit le souvenir.
En photographie, on citera le travail incontournable de Francesca Woodman, à laquelle j’ai déjà consacré un article, à relire ici.
Mais peut-on également sculpter un fantôme ? Quels effets de matière pour traduire l’immatérialité ?
Medardo Rosso propose des figures à la limite de l’apparition, encore prises dans la gangue de matière inerte dont elles sont issues. Ses personnages « vibrent » ainsi à travers la matière en gestation, et présentent une vitalité qui se dérobe sans cesse.
Enfin quel meilleur médium pour traduire l’opalescence et la fragilité du fantôme que le verre ? Karen LaMonte le manie à merveille. L’artiste fait entièrement disparaître le corps, ne laissant que le vêtement encore gonflé des formes de la chair. Le vêtement comme lambeau d’être prend alors son autonomie. Il est peut-être bien plus que le substitut d’un corps disparu…
Enfin, clin d’œil aux très nombreuses représentations – artistiques, littéraires, cinématographiques – du fantôme se manifestant à travers un miroir, l’oeuvre Lark Mirror, Hysteria, fait aussi appel aux théories de l’hystérie et du délire de persécution, développées dès la fin du XIXème siècle.
Le reflet de jeune femme à la fois séductrice, énigmatique et inquiétante, serait donc la manifestation d’une hallucination… la nôtre ? A moins qu’ « ON » ne nous guette vraiment… Et le spectateur face à cette œuvre ne manquera pas de ressentir quelque frisson…
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Pour les amateurs de littérature, voici quelques idées de lectures (à consommer idéalement au coin du feu par une nuit d’orage !) :
- Henri James, le tour d’écrou
- Oscar Wilde, le fantôme de Canterville
- Herbert George Wells, l’homme invisible
- Edith Wharton, le triomphe de la nuit
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Pour terminer, un poème tout en silences et profondeurs nocturnes, évoquant selon moi le glissement d’un être vers des mondes éthérés :
« Des cieux surabondants d’étoiles prodiguées
Mettent leur faste au-dessus de l’affliction. Au lieu de pleurer
Dans les oreillers,
Lève tes yeux pleins de larmes. C’est ici déjà, à partir de ton visage
En pleurs,
De ton visage qui s’achève,
Que l’univers impérieux commence et se
Propage. Qui brisera,
Si c’est dans cette direction que tu te presses,
Le courant ? Personne. Sauf toi,
Si soudain tu te mettais à lutter contre l’orientation puissante
De ces astres vers toi. Respire.
Respire l’obscur de la terre et de nouveau
Lève les yeux ! De nouveau. Légère et sans visage
La profondeur d’en haut s’appuie sur toi. L’indifférent
Visage contenu dans la nuit prête au tien de l’espace. »
Rainer Maria Rilke, Poèmes à la nuit, 1913
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